« Les bonnes idées n’ont pas de frontières ». À travers cette expression, pierre angulaire du film, le long-métrage « Tetris » rend un vibrant hommage au jeu vidéo éponyme mais pas seulement. Contrairement à des adaptations vidéoludiques classiques que j’ai vues, le film prend un autre virage, plus historique.

Liée à la fois par une contrainte flagrante (le jeu en lui-même ne disposant d’aucun scénario) et par la richesse des péripéties concernant l’historique de ses droits d’exploitation, « Tetris » se joue de nous puisque même si le cœur du film concerne le jeu (le monde vidéoludique étant également présent via de multiples clins d’œil), la majeure de partie de ce dernier est dédiée à la partie business et entrepreneuriat à travers Henk Rogers, personne clé de l’histoire de Tetris et protagoniste du film.

Au-delà de l’aspect créatif et le côté business du jeu vidéo, un troisième polissage s’opère : le contexte de la fin de la guerre froide entre l’URSS et les Etats-Unis. Situation tellement reprise et mâchée par l’industrie cinématographique, elle est pourtant très intéressante ici car on voit ce qui est rarement présenté dans les films (du moins américains) : le monde des affaires en URSS. Voyons donc en détails ces 3 piliers du film.

À noter l’excellente bande son du film qui s’écoute sans modération. De classiques pop revisités au célèbre thème du jeu en passant par les compositions de Lorne Balfe qui s’est notamment illustré sur la série Skylanders.

Tetris affiche du film

Le business Tetris

Le fil conducteur de « Tetris » est Henk Rogers, business man et producteur de jeux arcades au Japon. (implanté là-bas car il est notamment marié à une Japonaise dont il a une fille) Croisant par hasard un VRP présentant Tetris au CES (Consumer Electronics Show, le salon des jeux vidéos par excellence avant l’avènement de l’E3), il flaire la bonne affaire et commence à s’intéresser de plus près à ce jeu sortant de l’ordinaire.

Cependant, tout ne se déroule pas comme prévu. Les droits d’exploitations sont répartis entre différents acteurs (Andromeda, Mirrorsoft, ELORG), sur différents marchés (Japon, Etats-Unis, Europe) et sur différentes plateformes (pc et consoles). Henk va donc de devoir retrouver le fil de tout cela, ce qui l’amènera à faire de nombreux allers-retours entre le Japon, les Etats-Unis et l’URSS, dans un périple initié par Yamauchi, PDG de Nintendo à l’époque, qui lui commande la production de 300 000 cartouches pour la NES (situation prêtant à sourire quand on sait que Yamauchi avait une peur bleue de l’avion)

Je ne vais pas vous en dire plus afin d’éviter le spoil, sachez tout de même que « Tetris » montre les coulisses de l’industrie vidéoludique. Nous avons tendance à l’oublier derrière tout le plaisir et la satisfaction que nous tirons des jeux mais le jeu vidéo reste un marché, une concordance d’offres et de demandes, mué par les impulsions des entrepreneurs et multinationales voulant toucher un maximum de consommateurs (même si les joueurs n’aiment pas être appelés ainsi) et maximiser leurs gains.

Cette course aux gains est très bien illustrée par la course poursuite entre Henk, prêt à miser sa maison afin de lever des fonds, et les autres personnes clés que sont Robert Stein d’Andromeda et les père & fils Maxwell Mirrorsoft. Fait exceptionnel, ce sont les soviétiques qui vont distribuer les cartes.

La Peres(Tetris)oika : Tetris et la Perestroika

Longtemps cantonné aux films de guerre et d’espionnage, le monde soviétique présenté dans « Tetris » est celui des affaires. Certes, certains slogans mentionnant que l’URSS n’est pas orienté gains apparaissent dans le film, de même avec la situation des droits du jeu qui appartiennent à l’Etat soviétique via ELORG alors qu’ils devraient revenir au créateur du jeu dans un monde non soviétique. Toutefois, on voit ici que les soviétiques, à travers Belikov le président d’ELORG, sont également des gens d’affaires et ils ont un certain respect des situations contractuelles comme les droits d’exploitation.

Cependant, on voit également que le monde des affaires soviétiques reste régi par l’Etat. Il suffit de voir la présence de Gorbatchev, dirigeant de l’URSS, qui apparaît dans le film ainsi que dans la situation de Tetris. C’est d’ailleurs étonnant de voir la concomitance de ce symbole de la perestroika, cette ouverture de l’URSS vers l’Occident et l’économie de marché, avec celle du personnage de Trifunov, le « méchant » du film qui agrège tous les codes négatifs de l’appareil soviétique de l’époque pré-prestroika (violence policière, quête du pouvoir par tous les moyens…).


Cette approche intéressante du film jette une ombre sur le créateur du jeu lui-même à savoir Alexei Pajitnov. En effet, le génial créateur reste assez en retrait du film, il est, en quelque sorte, l’alter ego de Henk. Assez utopiste et peu plongé dans le monde des affaires, renfermé un peu dans son monde décalé (il n’y a qu’à s’en rendre compte dans la manière dont il a donné le nom à son jeu), il n’apparait finalement que très peu dans le film. C’est assez dommage dans le sens où cela aurait été intéressant de voir le processus de création du jeu vu le peu de moyens à l’époque.

Les références jv dans « Tetris »

Même si le processus de création de Tetris n’est pas présent, on n’échappe pas aux multiples références au monde du jeu vidéo assurant un fan-service de qualité. Les références directes sont présentes : Nintendo avec les jeux Mario, Zelda, Punch-Out ; Atari également, acteur majeur de l’époque.

Des clins d’œil se font également sentir au niveau du déroulement du film séquencé en « levels » avec des transitions graphiques pour désigner un nouveau lieu (« Tokyo » dans le film) comme dans un jeu vidéo. Les effets d’animations hybrides où on voit du pixel art et des briques Tetris s’imbriquer dans la réalité sont également agréables à regarder. L’apparition presque messianique de la « Game Boy » est également très bien mise en avant, la console jouant un rôle majeur dans le film, tout comme la définition même de ce qu’est une console et un pc.

Enfin, la référence la plus importante et implicite reste « l’Effet Tetris ». Outre les exclamations dans le film décrivant « Tetris » comme le jeu parfait, il y a de discrètes et moins discrètes mentions de l’effet que le jeu procure sur les joueurs, surtout ceux passant le plus de temps à travers de longues sessions de jeu.

Ainsi, on voit Henk parler du jeu comme celui qui « reste » avec toi (la scène faisant apparaître des briques à côté de lui lors de cette élocution est excellente). Trifunov mentionne également le fait que les travailleurs ont arrêté de travailler à cause de l’addiction à ce jeu. Tetris fut le premier jeu à être aussi addictif au point où les joueurs commençaient à y penser jour et nuit jusqu’à dans leurs rêves. On voit que cet « effet Tetris » n’en était qu’à ses début à l’époque puisque de nos jours, avec l’avancée technologique considérable depuis 40 ans, cet effet est bien plus amplifié chez ceux jouant de manière excessive.

Pour résumé, « Tetris » est plus qu’un hommage au jeu né en 1984 (année décidément symbolique), c’est un melting-pot de jeu, business et géopolitique avec des petites touches nostalgiques (années 80, « The Final Countdown » du groupe Europe, « I need a hero » en version japonaise,…) rappelant la naissance d’un mastodonte du jeu vidéo, dans le TOP 10 des jeux les plus vendus de tous les temps. L’action y est omniprésente, comme dans les meilleurs films d’espionnage, de quoi donner envie à beaucoup, amateurs de jeux vidéo ou non, de le découvrir sur Apple TV+ (via votre abonnement Apple ou depuis peu MyCanal).