À qui profite le crime ? Devinette qui nous est posée ce week-end, après les annonces successives des différents acteurs du monde médiatique, qui pensent, à tort, que nous n’y verrions que du feu. Car oui, c’est sans spoiler que nous pouvons annoncer que ce ne sera pas nous, une fois de plus.

Étape 1 : L’arrêt des cours et début du confinement de la population.

Permettez- moi, par décence, de commencer par un rappel de la situation. Depuis Lundi 16 mars 2020, la France est en alerte contre la menace du Coronavirus Covid-19. Crèches, écoles, collèges, lycées et universités sont fermées. Les annonces s’enchainent alors avec la fermeture des commerces non alimentaires, et de nombreux lieux publics, jusqu’à un confinement de la population. Toute sortie non justifiée peut donner lieux à des amendes. Cette situation est l’occasion de se poser bien des questions sur ses origines écologiques et économiques, sur les disparités entre travailleurs, mais aussi l’importance du service public et de professions tellement dévalorisées habituellement. Je souhaitais commencer par cela pour saluer leur dévouement et avoir une pensée pour les victimes de ce fléau. Quant aux autres sujets espérons qu’ils donneront lieu à de vrais changements, mais entre nous je crois peu aux « plus rien ne sera plus jamais comme avant ».

Covid-19

Étape 2 : Le confinement. Parce qu’il faut bien s’occuper.

Nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne. Moi-même je suis indépendant et ma quantité de travail a peu changé. Pire, en l’absence de collège et de cantine, il faut bien s’occuper de la continuité pédagogique et du repas du midi. Au fond c’est toujours un plaisir d’être avec mes filles, mais cela nécessite néanmoins – surtout dans ma situation de parent isolé -de répondre à leurs sollicitations en plus de celles de mes clients. Je ne me plains pas, bien au contraire, ma situation est plus enviable que bien d’autres, mais je ne suis pas en « vacances » comme ça peut l’être pour une catégorie de privilégiés parce qu’ils ont les moyens ou parce qu’ils sont, pour l’instant, à l’abris de grands groupes qui leur garantissent le maintien de leurs salaires. Tant mieux pour eux.

Mais au final, alors que nous sommes confinés et que nous jouons à Animal Crossing entre deux séances de télétravail, il faut bien s’occuper et occuper les enfants. Ainsi la lecture comme les jeux vidéo et les écrans sont fortement sollicités. Sauvés par Internet ? Oui, il faut bien l’avouer.

Étape 3 : Des « cadeaux » tous azimuts de la part de Canal+, d’Orange et les autres.

De ce confinement sortira néanmoins quelques « bonnes nouvelles » susceptibles de nous réconforter un peu. Il y en a eu pour tous les goûts, des cours de Yoga aux programmes éducatifs, en passant par des concerts, ballets, théâtres et musées en visites virtuelles. Les annonces les plus marquantes viendront de Canal+ qui s’est offert en clair (ou des chaînes supplémentaires pour les abonnés actuels), OCS pour les abonnés Orange, des chaînes familiales offertes pour tous les opérateurs télécom, l’intégral de Naruto chez ADN, et la nouvelle plateforme Medelen de l’INA offerte pendant 3 mois.

Beaucoup en profitent et à en croire les réseaux sociaux, l’effet escompté a été atteint. Si on se doute qu’il y a des arrières-pensées commerciales, notamment pour Canal+ qui s’achète une campagne pub à peu de frais, avec le soutien des internautes ce qui était devenu rare depuis le début de l’ère Vivendi / Bolloré (arrêt du zapping, des Guignols, grève chez I-télé, etc). Je ne reviens pas là dessus, je vous invite juste à lire les articles du dossier « L’empire » du site « Les jours » (aussi gratuit actuellement, autrement n’hésitez pas à utiliser le code de parrainage D7I2V pour un mois gratuit).

Cela tombait à pic aussi pour Canal, car après de longues années sans être abonnés (alors que je l’étais aux tout débuts de la chaîne cryptée), nous sommes revenus pas plus tard que le mois dernier. Pourquoi ? L’effet conjugué d’une offre Vente Privée qui a enfin rendu le tarif « abordable » conduisant à avoir pour 30 euros : Canal+, Canal+ Séries, Netflix 4K / 4 écrans, OCS et Disney+ (en partie exclusif). Même si Canal+ devient alors un + en retrait de ses options, l’ensemble devenait enfin intéressant sur notre Apple TV. S’ils continuent comme cela peut-être resterons nous afin de ne pas multiplier les abonnements à gauche et à droite pour voir les contenus qui nous intéressent (en espérant un jour une offre globale comme c’est le cas aujourd’hui pour la musique). Un long chemin a été parcouru depuis nos premiers articles sur Canal VOD, parmi les plus lus de ce blog, qui pointait de nombreux problèmes.

Étape 4 : Le début des querelles entre opérateurs et médias

Aux États-Unis les cadeaux sont allés plus loin, car exemptés de notre chronologie des médias, des films très récents (comme La Reine des Neiges 2) ou qui devaient sortir en salle, sont proposés en vidéo à la demande. Chez nous c’est impossible, même en période de crise, car certains acteurs font encore de la résistance.

Mais ce ne sont pas les seuls, voilà que tout ces cadeaux ne plaisent pas à tous le monde. D’abord TF1 et M6 qui râlent auprès du CSA pour une concurrence déloyale de Canal+. Dans le fond c’est vrai, et cela a obligé le CSA de demander à la chaîne cryptée de limiter son cadeau dans le temps. Mais aux yeux des téléspectateurs, c’est assez mesquin.

Mais ce n’est pas tout, voilà que le commissaire européen Thierry Breton (ancien PDG d’Orange faut-il le rappeler) et le gouvernement français toujours plus royalistes que le roi quand il s’agit de se faire du mal, décident de s’en mêler avec l’aide d’un lobbying actif de Stéphane Richard (actuel PDG d’Orange) et des autres opérateurs télécom. C’est sur les services de SVOD américains, mais aussi Canal+, que se porte cette offensive qui conduit Netflix, Amazon Prime Vidéo, Disney+ et Canal+ de faire des concessions sur la qualité du débit proposé au nom d’une prétendue congestion des réseaux à venir.

Ils auront aussi la peau du lancement de Disney+ attendu pour le Mardi 24 mars 2020, aujourd’hui décalé au 7 avril, ce dont ils se félicitent au détriment de leurs clients. On peut regretter que Disney, déjà très en difficulté et une proie avec les fermeture de tous leurs parcs dans le monde et des salles de cinéma, ait cédé. Le reproche leur est aussi adressé, même si on imagine que la pression semblait intenable politiquement. À ce stade on peut se poser un certain nombre de questions et se demander si ce n’est pas une nouvelle fois Canal+ qui serait visé. Pour comprendre il faut revenir à l’accord passé entre le groupe et Disney+, inédit dans le monde, afin que Canal bénéficie de l’exclusivité de la distribution du service sur les box connectées aux téléviseurs (à l’exception faite des boîtiers comme l’Apple TV). D’après Les Echos le montant total de l’accord conclu avec Disney pourrait atteindre un milliard d’euros sur cinq ans, en retour Canal aurait demandé 100 millions d’euros sur cinq ans par opérateur (à ce prix on peut se demander s’ils y tenaient d’une part, justifiant la posture de victimisation des télécom). Orange aurait été sur les rangs pour obtenir une telle exclusivité, ce qui expliquerait ce mauvais esprit.

C’est aussi étrangement maintenant qu’une autre information se fait jour : Canal + abandonnerait la diffusion de ses chaînes par la TNT en perte de vitesse. Cela aurait pour eux plusieurs avantages à commencer par la réduction des coûts, mais aussi la possibilité de se vendre à un groupe étranger. Bien que cela ne soit tout simplement qu’une façon de mettre la pression sur le gouvernement pour avoir une TVA réduite (ce qui pourrait conduire Netflix et les autres à demander la même faveur et à remettre en cause la chronologie des médias). Avec Bolloré tout semble possible et dans ce jeu stratégique nous ne connaissons sans doute pas tout les tenants et les aboutissants derrière le politiquement correct et les langues de bois.

Étape 5 : La neutralité du net serait-elle la vraie cible ?

On a entendu les arguments des opérateurs télécom de nous mettre en garde contre les usages du web divertissant en ces temps de confinement, avec un péril sur leur capacité à offrir la bande passante nécessaire.

En cela l’article de Stéphane Bortzmeyer pour Framablog est parfait de lucidité pour nous expliquer qu’une autre réalité se cache derrière le sensationnalisme des articles de la presse généraliste trop pressée de reprendre le verbatim qui leur est servi sur un plateau. Ce serait en effet trop simple, et méconnaître le fonctionnement d’Internet, que d’imputer à Netflix, Amazon et bientôt Disney+, les lenteurs que nous rencontrons sur l’ENT (environnement numérique de travail) de nos enfants, le VPN de notre employeur, ou tout autre site web. Celles-ci se situent en effet au niveau du développement de ces sites, leur optimisation et les serveurs sur lesquels ils sont placés. Sans parler de la possibilité que vous ayez peut-être un soucis localisé sur votre réseau local en Wifi ultra-sollicité par vos objets connectés. Rien à voir donc sur l’utilisation du réseau de nos opérateurs télécom. L’analyse global du trafic montrerait également un pic à peine remarquable depuis le confinement, après tout qu’est-ce que cela change que vous travaillez de chez vous ou de votre lieu de travail ? Que vous regardiez Disney+, plutôt que Netflix ?

En réalité ce que les opérateurs télécom, plutôt soutenus par les autorités, ont envie, c’est d’imposer leur idée d’Internet. Celui où la neutralité du net n’existe pas, où ils pourront décider ce qui est important, ou ce qui ne l’est pas. Dans lequel ils pourront monnayer aux différents acteurs (et peu ou prou au consommateur) de passer par leur réseau plus ou moins bien. Au lieu d’investir dans un internet correctement dimensionné et prêt pour les situations les plus tendues, un internet présent partout, même dans les zones peu denses ainsi que des acteurs européens pouvant faire concurrence aux GAFAM et aux studios US. C’est cette idée qu’ils souhaiteraient faire passer, l’occasion est tellement belle de revenir sur cet acquis comme sur tant d’autres.

Finalement on patientera tous encore quelques jours, après tout, au vue de la situation ce n’est pas si grave et le lancement de Disney+ est déjà tellement en retard sur celui des États-Unis, avec un catalogue moins fourni. Mais cette petite affaire montera le vrai visage des différents acteurs et leurs réelles intentions si nous n’y prenons pas garde. Il en va de la neutralité du net, et de la chronologie des médias conçue pour préserver les intérêts d’industriels plus que des consommateurs. À nous d’avoir l’abonnement citoyen, le vote vraiment utile, et de faire entendre notre voix sur les réseaux sociaux.

Si vous voulez vraiment rendre service, utilisez un navigateur comme BRAVE afin de vous passer de la publicité encombrant inutilement votre bande passante.

Et vous qu’en pensez- vous ?

Portez-vous bien et RESTEZ CHEZ VOUS 😉